J’ai lu très récemment La fille du rivage : Gadis Pantai de Pramoedya Ananta Toer.
Nous voila, avec La fille du rivage, transportés au début du vingtième siècle sur l’ile de Java en Indonésie. Gadis Pantai, fille de pêcheurs d’une grande beauté, est repérée par un noble de la région qui souhaite en faire sa femme. Il obtient sa main et la ramène dans sa maison. Gadis Pantai mène désormais une vie recluse dans la vaste demeure. Elle n’a pour seule compagnie qu’une vieille servante qui lui raconte des histoires pour l’instruire, lui apprend à se comporter en maitresse de maison et en bonne épouse. Mais un beau jour la servante est chassée…
Mon avis ? J’ai beaucoup aimé ce roman!! J’ai été fascinée par le destin de cette jeune femme. Ça démarre comme un conte de fée (la jeune fille pauvre épouse un prince) mais très vite on se rend compte qu’il n’en est rien. Ce roman raconte surtout l’histoire d’une perte d’identité, d’un enfermement, d’un emprisonnement même. Et c’est bien là ce qui arrive. Gadis Pantai a perdu en même temps que sa liberté toute identité en se mariant à ce noble, à ce Bendoro. Elle est Gadis Pantai, la fille du rivage mais surtout Mas Ngantem, la maitresse de maison. Elle n’a plus de nom donc plus d’identité. C’est d’autant plus émouvant que quand elle revient chez elle et supplie son père de l’appeler par son nom, celui-ci se dérobe et ignore sa requête. Tout se passe comme si en se mariant, elle avait été dépouillée de son identité propre (oui ça je l’ai déjà dit).
Mais surtout après son mariage elle n’est plus à sa place nulle part. Quand elle rend visite à ses parents dans son village natal près de deux ans après son mariage, elle se sent étrangère, rejetée par les siens. Dans la demeure de son époux, elle n’est qu’une servante, voir pire une esclave (dans les dernières pages, alors qu’elle est enceinte, Gadis Pantai fait elle-même le ménage). Jamais elle n’accède vraiment au statut social que devrait lui conférer son mariage avec le Bendoro. La fille du rivage est le récit d’un déracinement en même temps que celui d’un enfermement. La jeune femme vit recluse dans la grande maison de son époux. Son domaine se résume à sa chambre et à la cuisine. Jamais elle ne sort, jamais elle ne participe à la vie sociale de son mari. Elle est obligée de se cacher quand il reçoit un hôte a diner dans sa demeure.
Ce qu’il y a aussi de troublant dans ce roman c’est l’anonymat de tous les personnages et pas seulement de Gadis Pantai. Il y a le Bendoro, l’époux de la jeune femme, son seigneur et maitre dont on apprend finalement peu de chose si ce n’est qu’il est beaucoup plus âgée qu’elle. Il est à peine décrit physiquement. Il y a aussi mBok, la vieille servante et Mas Ngantem autrement dit la maitresse de maison c’est à dire Gadis Pantai. Même les parents de Gadis Pantai n’ont pas de noms : c’est « papa » ou « maman ». Tous les personnages sont désignés par leur titre ou leur fonction dans la société. Les seules personnages à avoir un nom sont Si Dul, le conteur un peu fou du village et Mardinah, la jeune femme qui vient prendre la place de la vieille servante auprès de Gadis Pantai. Les autres sont des figures anonymes, des ombres chinoises.
Bon cet anonymat permet aussi de voir dans cette histoire une certaine universalité. C’est celle de milliers de femmes, mais surtout c’est celle de la grand-mère de l’auteur. Jamais il n’a connu le nom de cette femme qui comptait tant pour lui et à laquelle il rend hommage dans ce texte.
Bref j’ai beaucoup aimé ce roman. Je ne connaissais pas cet auteur, le plus grand dans son pays d’après ce que j’ai pu lire. Perso je ne sais même pas si j’ai jamais lu un seul livre d’un auteur indonésien auparavant :) Peu importe. En tout cas, je vous recommande vivement La fille du rivage de Pramoedya Ananta Toer.
La quatrième de couverture : La jeune fille d’un pêcheur de la côte nord-est de Java (Gadis Plantai signifie » la fille du rivage » en indonésien) a été demandée en mariage par un aristocrate local, fasciné par sa grande beauté. Elle a quatorze ans et, dans cette Java féodale du début du vingtième siècle, elle n’a guère le choix. Ce mariage arrangé la fait passer sans transition d’une vie certes pauvre et rude, mais libre et naturelle, à une existence cloîtrée, dans la vaste demeure ceinte de murs de son époux, le Bendoro. La jeune fille est intimidée et malheureuse, mais doit très vite s’adapter au langage et aux usages de sa nouvelle vie. Grâce à une vieille servante, elle apprend à se comporter en maîtresse de maison, à se maquiller, à se purifier et à prier. Puis, incrédule, elle découvre qu’elle n’est qu’une épouse à l’essai après bien d’autres. Toutefois, elle ne se doute pas encore que son destin basculera cruellement lorsqu’elle donnera naissance à une petite fille quelque temps plus tard… Gadis Pantai est le récit d’une vie volée. D’une grande simplicité et d’une grande force, l’évocation de cette jeune fille abusée, de ce personnage de femme inoubliable, luttant pour rester libre jusqu’au bout, mais sans parvenir à maîtriser son destin, confirme la puissance narrative du romancier indonésien.
Prochaine lecture : Le clan Tarran, tome 2 : l’aînée de K. Sangil.